vendredi 16 août 2013

RENE CREVEL : "TU AS LE REMORD"




Tu as le remords d'avoir tué ton père sans avoir même acquis cent années de souvenirs.
Toujours les neurasthénies comme des fleurs en mie de pain.
Si tu essayais du tric-trac.
Sautent les dés.
Homme ou femme?
Chien ou chat?
Mais il y aura le chien qui sera tout de même un chat,
encore la vieille chanson des départs qui restent
et puis ce fauteuil de bois.
Les poitrines n'ont plus qu'un sein tout en haut des corps sans sexes;
Ton enfance fut aux curés en jupes de femmes;
dans la crypte du Sacré-Coeur tu n'as pas su faire l'amour.
Un oiseau dans ton cerveau.
Cet oiseau sans voix,
cet oiseau qui n'a pas volé,
cet oiseau qui n'a pas chanté,
apte au seul frisson de l'inutilité.
Comme des frères il aimait,
les bateaux petits;
bateaux colibris,
leur essaim posé
n'a rien enseigné.
Rouille, sang de carcasses
figé dans la mort,
et puis toujours et puis encor
alentour une eau si lasse
avec le plomb des ménagères
trop souvent mères.
Tu as froid mais ne sait ni mourir ni pleurer.
Triste entre les quais méchants
que tout homme ici-bas méprise,
tu vas, fleuve des villes grises
et sans espoir d'océan




 
RENE CREVEL PAR GEORGES PLATT LYNES 1928
 
 
 
 
 
 
 

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